YOU GOTTA PAY THE BAND / ABBEY LINCOLN


(Label : Verve)
Abbey Lincoln - vocals / Stan Getz - tenor saxophone / Hank Jones - piano / Charlie Haden - bass / Mark Johnson - drums / Maxine Roach - viola
Enregistrement réalisé au Studio « BMG » à New York en février 1991.


« You gotta pay the band that played your song... » « tu dois payer l’orchestre qui a joué ta chanson... » telles sont les paroles d’Abbey de ce troisième morceau de l’album. 

Il évoque cette condition si particulière des orchestres de jazz d’une époque pas si lointaine où il était normal que le public demande un morceau à la formation... 
Mais j’ai plutôt envie de parler de cet album somptueux autrement. 
Si je devais résumer je dirais tout simplement : c’est la grande, grande classe !
C’est avec une ballade intitulée Bird alone que l’histoire commence. Et quelle histoire... Des paroles d’une très haute teneur poétique, pour une musique tout aussi belle, proche de ce que Benny Golson a pu faire de mieux naguère, composée par Abbey Lincoln (celle ci met parfois quelques années à peaufiner ces compositions) et ciselée par une équipe ayant laissé de côté depuis des lustres tout aspect musical démonstratif, bien inutile évidemment.
Dès les premiers accords j’ai été impressionné par le poids de l’espace et du temps qui s’en dégage. On entend un souffle alors même que Stan Getz ne joue pas encore. Lorsqu’il rentre c’est incomparable. son son, le choix des notes, le respect de la mélodie... 
Tout cela sent l’amour, le véritable. Celui de la musique, des personnes qui la font naître et de celles qui savent l’écouter. 
C’est avec cette alchimie si particulière que les morceaux se succèdent. 
Tout cela sent le plaisir. Celui que l’on éprouve lorsque, après un parcours long et semé d’embuches, on parvient en toute sérénité à fabriquer de la musique vivante entre personnes qui se comprennent vraiment.


Que dire d’ Abbey Lincoln alias Anna Maria Wooldridge alias Aminata Moseka ... 
Comédienne, parolière, professeur d’art dramatique, poète et bien sûr chanteuse, musicienne, compositeur... 
Il faudrait dix vies à quelqu’un d’autre pour parvenir à remplir l’une de ses facettes, chacune tout à fait aboutie. Que dire de son phrasé trainant, de sa manière de poser chaque son, chaque syllabe si ce n’est que cela est beau, beau à en pleurer, beau à en rire aussi.
J’ai bien évidemment écouté de nombreux diques d’Abbey Lincoln auparavant mais je dois avouer qu’aucun ne m’a touché comme celui-ci. Est-ce le hazard de compositions particulièrement élégantes et bien construites qui s’inscrivent dans la respectable tradition des plus grands standards connus ? 
Est-ce le concours circonstanciel d’une équipe particulièrement bien choisie, où chaque musicien sait rester lui-même tout en apportant énormément au collectif ? 
Est-ce le poids de cette militante attachée à la condition de la communauté noire américaine qui transparait ainsi dans sa musique ?
Très certainement un peu de tout cela en même temps , je ne saurais dire vraiment. Toutefois j’observe qu’il émane de cet album une dimension inégalée et qui hélas fait parfois défaut dans d’autres Cds où Abbey s’entoure pourtant aussi de très grands comme Pat Metheny notamment.


L’inspiration et les retrouvailles de musiciens - particulièrement inspirés par les compositions d’Abbey ou les standards choisis - sont certainement pour beaucoup dans l’atmosphère majestueuse qui émane de cet album magnifique. 


Vous trouverez beaucoups de ballades dans cet album. Outre Bird alone je citerais également A time for love qui à mon sens reflète parfaitement la tonalité du disque, et quelques reprises comme cette version magnifique de Up jumped spring de Freddy Hubbard.


Si vous ne l’avez pas déjà, courrez l’acheter et régalez vous.


Article mis en ligne le 2 décembre 2009 par Hervé Villeret