SMTHG CLOSE TO SMTHG / ANDRE JAUME 4TET
(Label Durance / Orkhêstra International)
André Jaume : saxophones / Alain Soler : guitare
Pierre Fénichel : contrebasse / Antony Soler : batterie
Voila que je reçois la dernière réalisation du label Durance (label implanté dans la région des Alpes de Haute Provence qui fait depuis quelques années un travail remarquable en terme de productions discographiques, il faut le souligner).
Il s’agit d’un album d’André Jaume en 4tet.
Ce musicien discret mais actif, au son immédiatement identifiable (caractéristique des plus grands), impliqué dans de nombreux projets du label alpin, a marqué de son empreinte le jazz en France, notamment avec Le Collier de la Colombe (premier disque de saxophone en solo, enregistré en France et paru chez PALM en 1977).
Aujourd’hui André Jaume se trouve projeté dans une surprenante aventure musicale à l’instigation du guitariste Alain Soler, (on le devine à la lecture des liner notes à l’intérieur de l’album).
Le projet mystérieusement intitulé Something Close To Something réunit autour d’André et d’Alain, Pierre Fénichel contrebassiste (habituellement impliqué dans les projets d’un de nos autres célèbres joueurs d’anche en la personne de Raphaël Imbert) et Antony Soler (qui n’est autre que le fils d’Alain) à la batterie.
Deux idées-forces sont à la base de cet enregistrement : la première consiste à réunir trois générations ; André Jaume aura cette année 76 ans, Pierre Fénichel et Alain Soler tournent autour de la cinquantaine et Antony Soler à tout juste 23 ans ; Alain Soler rendant certainement hommage ici au guide que fût André depuis le début de leur fructueuse collaboration il y a un quart de siècle.
L’idée de transmission - idée essentielle dans la tradition du jazz - est alors parfaitement synthétisée ici en une musique puissante, au geste intègre et dont l’énergie collective nous saisit dès les premières secondes d’écoute (278).
La deuxième proposition est plus étonnante car elle fait écho à un album important de Jaume, réalisé à New York dans les années 90 par David Baker, avec entre autres Bill Stewart, Joe Mc Phee et Anthony Cox, intitulé Something (CELP15/Harmonia Mundi85).
Ainsi cet album (qui accompagnera Antony Soler pendant toute son enfance ; et l’on s’étonnera moins du jeu extrêmement sûr et ancré dans le son du jazz du jeune batteur...) est ici détourné par Alain Soler, s’appropriant les compositions originales d’André Jaume, les déconstruisant puis les reconstruisant en autant d’avatars musicaux d’excellente facture.
Ceux-ci sont suffisamment proches pour favoriser de jubilatoires réminiscences tout à fait palpables entre les protagonistes (Fizz Gin, The Coaster Thing, Melonea Song...) mais suffisamment distincts pour favoriser une alchimie organique de découverte, d’exploration des sentiers mélodico-harmoniques tout à la fois étrangement connus et méconnus, pour peu que l’on écoute à nouveau le CD "inspirateur".
Alors Le titre quelque peu énigmatique Something Close To Something se dévoile alors et fait clairement sens.
La rythmique est impeccable, Pierre Fénichel à la contrebasse, au tempo irréprochable, au son "planté dans la terre" (qui n’est pas sans rappeler celui de "feu" Charlie Haden) s’associe formidablement au jeu puissant, volubile mais toujours à propos, du jeune batteur Antony Soler tandis qu’André Jaume prend un plaisir communicatif à digresser sur les trames harmoniques interjetées çà et là par l’électrique Alain Soler, élégant, généreux et toujours inventif.
Un album qui s’écoute d’une seul traite malgré sa durée de presqu’une heure (la tendance est davantage au cd "court" aujourd’hui...), qui prend le temps des introductions, des "fins qui durent", voire des "alternates takes" qui méritent ici d’être présentes incontestablement.
Conçu et réalisé en territoire rural, propice à ce type de proposition quasi tellurique Something Close to Something offre à l’auditeur une brillante mise en abyme de ce qui "est" en réponse à ce qui "fût" ainsi qu’un hommage original et affectueux à l’un de nos plus grands saxophonistes français.
A écouter sans limite de péremption !
Article mis en ligne le 12 mars 2015 par Hervé Villeret